Un prétendu fou est-il forcément un piètre joueur de cartes?

Von Malek Dahmani

L’impact de l’élection de Donald Trump sur les actions européennes.

«Parfois, il est très sage de simuler la folie» — Machiavel (prétendument).

Donald Trump est souvent dépeint comme adepte de la stratégie machiavélique du «fou», qui consiste à faire croire à l’adversaire que l’on est prêt à tout, pour l’amener à négocier, contraint par la peur. Avec une telle stratégie en face, est-il raisonnable de penser que le nouveau président américain abattra ses atouts démagogiques – notamment les hausses de tarifs douaniers de son programme – aussi vite que les marchés financiers l’anticipent dans leurs prix?

Depuis la victoire de Trump, les analyses des effets économiques de ses promesses électorales se multiplient, insistant souvent sur un impact négatif pour la croissance mondiale et, par ricochet, pour les entreprises européennes. La plupart de ces analyses mettent l’accent sur les effets des hausses tarifaires: un minimum de 10% de droits de douane sur tous les biens importés, avec des taux potentiellement plus élevés pour certains produits, comme les automobiles. Les estimations tablent sur une réduction de 40 à 50 points de base de la croissance mondiale et européenne en 2025.

L’évolution des marchés européens le 6 novembre illustre bien cette anticipation: après une euphorie initiale (+1,5%), probablement due au soulagement face aux risques de blocage ou d’insurrection, la crainte a vite repris le dessus. Les secteurs les plus exposés aux taxes douanières, comme le secteur manufacturier et logistique, celui de la consommation discrétionnaire, et notamment le secteur automobile, ont été les premiers à chuter.

A mesure que la réaction initiale s’atténue, il convient tout de même de prendre du recul sur les probabilités que ses promesses électorales se réalisent, et surtout à quel rythme. Après tout, il est bien connu que «les promesses n’engagent que ceux qui y croient». Si la tentation est grande de voir dans cette nouvelle élection un prolongement de son premier mandat, plusieurs éléments, certains plus inquiétants que d’autres, nous poussent à la prudence face à une telle comparaison:

  • Trump aborde ce mandat avec une préparation plus longue, une conviction renforcée et une équipe encore plus déterminée, prête à agir.
  • Contrairement à 2016, où le Parti républicain restait largement traditionnel, la mouvance MAGA a gagné en influence, affaiblissant les freins internes. De plus, avec ses nominations à la Cour suprême, cette institution penche désormais en sa faveur. Un obstacle demeure toutefois: la majorité à la Chambre des représentants n’est pas encore garantie, et un équilibre des forces pourrait restreindre son pouvoir.
  • La démondialisation s’est accélérée, et les adversaires désignés par Trump, notamment la Chine et l’Europe, sont économiquement et socialement plus vulnérables qu’il y a neuf ans.
  • Les entreprises européennes ont également évolué. Leurs investissements aux États-Unis ont continué, représentant 30 % des investissements étrangers annuels de la zone euro et plus de 50 % pour le Royaume-Uni. Ces flux sont notamment motivés par les rendements attractifs du marché américain, les risques protectionnistes, les incitations fiscales de l’administration Biden et les leçons de la pandémie.
  • Enfin, Trump, connu pour sa stratégie imprévisible, pourrait adopter une approche inédite.


Ces différences nous incitent à repousser la thèse d’une simple application brutale du programme populiste du 47ᵉ président américain.

En replaçant cette élection dans le contexte de la campagne, un autre scénario peut émerger. Trump a remporté le soutien de la quasi-totalité des Américains qui avaient cité l’immigration et l’inflation comme leurs deux principales inquiétudes. En bon gestionnaire de son agenda politique, Trump pourrait d’abord concentrer son attention et ses premières décisions sur l’immigration et les questions de société, pour asseoir sa popularité auprès de son électorat. Il pourrait temporiser les hausses tarifaires, qui pourraient éventuellement aggraver une inflation, déjà en hausse de +20%, en cumulé, depuis la sortie de la pandémie en 2021.

Ce faisant, il pourrait choisir d’attendre une éventuelle baisse de l’inflation, en s’en attribuant le crédit, tout en maintenant une pression rhétorique sur ses partenaires commerciaux, sans passer immédiatement à l’acte. La politique protectionniste pourrait être réservé pour un moment plus stratégique, notamment en cas de dégradation du marché de l’emploi. Dans ce cas, il pourrait l’utiliser en contre-feu, avec la rhétorique démagogique qu’on lui connait.

La condition sine qua non d’un tel scénario reste la confirmation d’un ralentissement économique en douceur. Ainsi, les indicateurs clés resteront l’inflation et les chiffres de l’emploi aux Etats-Unis. Si les probabilités de ce scénario s’accentuent dans les prochaines semaines, certaines actions européennes récemment malmenées par le «Trump Trade», notamment les entreprises de qualité, rentables et déjà partiellement implantées aux États-Unis, pourraient présenter une opportunité. Toutefois, il faudra résister à une volatilité accrue. Avec un président imprévisible à la Maison Blanche, l’incertitude a clairement grimpé d’un cran et pèsera davantage à court terme. Cela pourrait d’ailleurs bien être la principale «répétition de l’histoire».

Face à cela, notre meilleure réponse reste d’investir dans des actifs de qualité et de garder une vision à long terme.

Source : Allnews