Même en Suisse, Donald Trump et ses taxes laissent la bourse de marbre

Von Aline Bassin, Le Temps

Alors qu’elles avaient dévissé début avril, les places boursières accueillent avec une certaine indifférence l’entrée en vigueur des droits de douane imposés par les Etats-Unis. Un constat qui vaut aussi pour la Suisse, malgré le traitement sévère subi

Impassibles. A New York, Londres ou Paris, les investisseurs ont pris note avec flegme de la batterie de droits de douane que les Etats-Unis ont introduits le 7 août. La bourse suisse a aussi résisté, malgré le taux de 39% infligé aux entreprises exportatrices du pays.

Le jour de fermeture de la Fête nationale a permis aux investisseurs d’accuser le coup il y a une semaine, lors de l’annonce de ce traitement jugé injuste par les milieux économiques et politiques. Après une ouverture en baisse de 2% lundi matin, le SMI, principal indice de la bourse de Zurich s’est rapidement redressé. Il termine la semaine à l’équilibre.

Pas de récession attendue aux Etats-Unis

La sérénité des marchés financiers a surpris beaucoup d’analystes et autres économistes aguerris. A commencer par François Savary, cofondateur de la société d’investissement genevoise Genvil. «Ce qui apparaît clair aujourd’hui pour les investisseurs, explique-t-il, c’est qu’un ralentissement économique pointe aux Etats-Unis mais que, pour l’heure, il n’y a pas de signes de récession.»

Selon lui, deux autres éléments ont également rassuré les marchés, à savoir l’adoption en juillet par le Congrès de la réforme fiscale de Donald Trump et les résultats des géants technologiques: «Après les inquiétudes sur le potentiel de l’IA que l’apparition du modèle chinois DeepSeek a suscitées en début d’année, ces entreprises ont montré qu’elles commençaient à monétiser l’intelligence artificielle. Les tarifs sont en conséquence passés au second plan.»

Un impact limité

Si ces arguments éclairent la relative confiance qui est de mise à Wall Street, ils ne peuvent pas s’appliquer à la bourse suisse, restée elle aussi de marbre. Voilà qui surprend moins Fabrizio Quirighetti, responsable des investissements au sein de la société genevoise Decalia: «Les sociétés suisses n’exportent pas qu’aux Etats-unis, et la moitié des biens destinés à ce marché émanent de l’industrie chimique et pharmaceutique, un secteur qui échappe pour l’heure aux droits de douane», rappelle l’économiste. Poursuivant l’inventaire, il relève que le raffinage de l’or, vraisemblablement aussi soumis aux taxes, ne génère pas une grande valeur ajoutée en Suisse. Tout un pan de l’horlogerie, positionné dans le luxe, devrait par ailleurs pouvoir répercuter les droits de douane sur ses montres ou les écouler via du tourisme d’achat.

«Les grandes sociétés sont déjà très diversifiées et ont des filiales aux Etats-Unis», ajoute Anick Baud, gérante de fonds chez Bruellan, relevant que «beaucoup sont très compétitives et spécialisées». Et de pointer comme exemple la société Belimo, qui fabrique des boîtiers pour réguler les flux d’air et d’eau dans les climatisations et les chauffages. «Leurs dispositifs sont très demandés pour les centres de données. Pour certaines applications spécifiques, leur part de marché avoisine les 100%, observe-t-elle. L’entreprise a déjà augmenté ses prix de 7% aux Etats-Unis pour compenser les droits de douane. Elle n’hésitera pas à le faire encore si nécessaire.»

Les PME plus exposées

Malmenée par le président américain, la Suisse joue-t-elle à se faire peur? «Il faut séparer l’économie suisse des grandes entreprises du pays», relativise Anick Baud, rappelant que «l’an dernier, la bourse allemande a atteint des sommets alors que le pays était en récession».

Lisez en creux: ce sont surtout les PME qui sont plus exposées. «Les grandes entreprises vont augmenter la production ou l’assemblage sur place, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’économie mais ne change rien pour les actionnaires», relève l’économiste. Des prévisions évaluent de 0,3 à 1 point de PIB la part de croissance que la nouvelle donne commerciale pourrait coûter à la Suisse.

Reste que François Savary demeure sur ses gardes car de grandes incertitudes pèsent sur la pharma, dans le viseur du président américain. Sur un mois, l’action Roche accuse d’ailleurs une baisse de 4,42%, celle de Novartis perd 3,84%. Seule différence, nuance Fabrizio Quirighetti, «les pharmas vont toutes être mangées à la même sauce».

«Essayons de réfléchir de manière plus large pour améliorer la compétitivité de la Suisse et trouver de nouveaux débouchés», conclut l’économiste. Certaines entreprises pourraient se tourner vers l’Inde et le Mercosur, en Amérique du Sud, qui ont tous deux conclu un accord de libre-échange avec la Suisse, même si les textes ne sont pas encore entrés en vigueur.

Source : Le Temps.