L’économie mondiale, tel un vaisseau spatial en orbite stable, décélère sous contrôle vigilant. Pour l’heure, les conditions restent favorables.
De la même manière que le centre de contrôle de Houston doit gérer très précisément la décélération d’un vaisseau spatial, afin de le maintenir en orbite terrestre sans que la gravité n’entraîne un crash, la Réserve fédérale est confrontée à la difficile tâche de ralentir l’économie juste suffisamment pour juguler l’inflation sans pour autant la précipiter en récession. Si le vaisseau spatial économique ralentit effectivement – et Houston profite du repli de l’inflation pour commencer à remettre des gaz, sous forme de baisse des taux, et ainsi tenter de stabiliser l’orbite – la question est de savoir s’il n’est pas trop tard. Autrement dit: les investisseurs devraient-ils se préparer à l’impact, la dynamique conjoncturelle baissière étant désormais trop forte pour être inversée?
Scénario de base: une décélération contrôlée
Notre scénario alternatif, qui entrevoyait une seconde vague d’inflation et un marché obligataire baissier, peut être largement écarté. La probabilité d’une récession, due aux effets retardés du resserrement monétaire passé et au repli des dépenses de consommation, a par contre augmenté, ce qui accroît le risque d’un marché boursier baissier. Pour autant, notre hypothèse de base reste celle d’une économie qui, telle un vaisseau spatial en décélération contrôlée, ralentira sans basculer en récession. Les pressions inflationnistes moindres devraient ouvrir la voie à des politiques monétaires plus accommodantes qui, à leur tour, soutiendraient une croissance économique régulière et des bénéfices solides. De quoi maintenir une toile de fond favorable aux actifs plus risqués, comme les actions.
Graphique 1: PMI Mondial dans l’Industrie et les Services (50 est le seuil entre expansion et contraction)
Source: Bloomberg
Le vaisseau spatial vole avec un seul moteur
La correction boursière d’août s’explique avant tout par la détérioration des données macroéconomiques, notamment dans l’activité manufacturière. L’indice PMI manufacturier mondial est retombé en territoire de contraction, à 49,5, après avoir frôlé des niveaux de récession durant près de deux ans. Cette faiblesse est en grande partie imputable à l’atonie des données européennes et chinoises. Heureusement, le secteur des services reste solide et montre même des signes d’amélioration. L’indice PMI des services a grimpé à 53,8, permettant à l’indice PMI composite de rester solidement ancré en territoire expansionniste, à 52,8 (graphique 1).
Si l’on examine les chiffres plus en détail, seuls 47% des pays affichent actuellement un indice PMI manufacturier en expansion (supérieur à 50), contre 38% en début d’année. A contrario, 100% des pays présentent un PMI des services en expansion. Partant, la croissance économique mondiale est principalement alimentée par la résilience du secteur des services. En d’autres termes, elle « vole avec un seul moteur », ce qui représente clairement une source de vulnérabilité.
Les prochains trimestres devraient voir l’activité mondiale ralentir, mais une récession être évitée. La croissance du PIB américain devrait baisser à 1,7% en 2025 (contre 2,5%), celle de la Chine à 4,5% (contre 4,8%) et celle de l’UE à 1,6% (contre 1%). La situation de la Chine reste particulièrement préoccupante en raison de la détérioration de son marché immobilier, de la faiblesse de sa consommation et de la contraction de sa masse monétaire. Pour compenser ces vents contraires et stabiliser la croissance, les autorités chinoises devront probablement mettre en œuvre d’importantes mesures de relance.
D’un point de vue cyclique, la dynamique économique actuelle est donc appelée à rester positive jusqu’au deuxième ou troisième trimestre de 2025.
Source: Bruellan calculations, Bloomberg
Les banques centrales pourraient enclencher l’autre moteur
Les progrès sur le front de l’inflation ont été marqués, la plupart des pays étant désormais proches ou en deçà de l’objectif de 2%. Le taux d’inflation américain est aujourd’hui de 2,5%, tandis que l’Allemagne est à 1,9%, la France à 1,8%, l’Italie à 1,1%, l’Espagne à 2,3%, la Suisse à 1,1% et la Chine même en déflation.
En conséquence, 16 des 35 principales banques centrales du monde – dont celles des États-Unis, de la zone euro, de la Suisse, de la Suède, du Danemark et de la Grande-Bretagne – a ont déjà adopté une posture plus accommodante cette année, une tendance qui devrait se poursuivre en 2025 (graphique 2). Historiquement, les baisses de taux des banques centrales tendent à être suivies d’une remontée de l’indice PMI manufacturier, ce qui suggère que l’assouplissement monétaire pourrait aider à relancer la croissance dans le secteur manufacturier si malmené.
Une participation élargie à la croissance bénéficiaire
La saison des résultats du deuxième trimestre a dépassé les attentes, pourtant déjà élevées, avec une croissance du bénéfice par action (BPA) de 9% aux États-Unis. Toutefois, le principal enseignement de cette saison bénéficiaire est l’élargissement de la participation à la croissance. C’est en effet la première fois depuis un an que la croissance des bénéfices a été positive (+4,6%) même en soustrayant la contribution des «7 magnifiques», les géants de la technologie. Au cours de chacune des précédentes saisons, l’indice S&P 500 avait enregistré une croissance négative des bénéfices hors «7 magnifiques».
Le troisième trimestre devrait voir cette tendance positive se poursuivre, dans la mesure où le ratio des entreprises relevant leurs prévisions est actuellement à son pic depuis début 2022, tandis que le nombre qui abaissent leurs prévisions reste inférieur à la moyenne.
Les perspectives en matière de BPA à 12 mois demeurent également favorables pour tous les principaux indices: Stoxx Europe 600, S&P 500, Nikkei 225 et MSCI AC Asia ex-Japan. Les valorisations semblent particulièrement intéressantes en Europe et en Asie hors Japon, avec des ratios cours/bénéfice (P/E) prévisionnels de 13,6x et 12,3x, respectivement. La valorisation du marché japonais est neutre (P/E de 18,7x), tandis que le marché américain paraît plus cher (21,2x). Cela dit, une grande partie de la surévaluation américaine provient des «7 magnifiques», l’indice S&P 500 équipondéré se négociant à un multiple plus attrayant de 17x.
Un vaisseau spatial en orbite stable
En conclusion, malgré de nombreux vents contraires – notamment l’affaiblissement des données manufacturières, le fléchissement de la consommation, l’augmentation des déficits et les défis posés par la Chine – les perspectives globales peuvent toujours être qualifiées de prudemment optimistes. La résilience du secteur des services continue de fournir une assise économique stable, tandis que l’adoption de politiques monétaires plus accommodantes à mesure que l’inflation se résorbe devrait contribuer à relancer la croissance du secteur manufacturier au cours des prochains mois. Bien qu’un ralentissement de la conjoncture mondiale soit à prévoir, une récession généralisée ne se profile pas. En outre, l’élargissement de la croissance bénéficiaire et l’abaissement des taux d’intérêt devraient continuer à étayer notre thèse constructive sur les actifs risqués, les actions notamment.
L’économie mondiale, tel un vaisseau spatial en orbite stable, décélère sous contrôle vigilant. Pour l’heure, les conditions restent favorables, mais Houston (alias la Réserve fédérale) est confronté à une tâche délicate: appliquer une poussée juste suffisante pour maintenir le vaisseau spatial en orbite. Cela afin d’éviter tant un plongeon en récession qu’une envolée dans le vide sidéral inflationniste.
Source : Allnews.