Moment de vérité pour les marchés

Source : Les analystes financiers s’attendent à ce que l’économie reparte aussi fort qu’après les crises de 2000 et de 2008. Les Etats-Unis et l’Asie – tirée par la Chine – sont en avance par rapport à l’Europe. — © Courtney Crow/New York Stock Exchange via AP

Les bourses ont beaucoup progressé depuis un an, dans l’anticipation d’une forte reprise post-covid. Les analystes s’attendent à une progression des bénéfices de 25% aux Etats-Unis et de 43% en Europe, au premier trimestre. Les résultats dévoilés ces prochains jours diront si ces anticipations étaient réalistes

Débutée jeudi 15 avril, la saison des résultats d’entreprises aux Etats-Unis sera particulièrement observée cette année. On saura si l’évolution des affaires correspond à la forte reprise anticipée par des bourses euphoriques depuis octobre dernier, voire depuis mars 2020, déjà. L’indice S&P500 a ainsi posté 22 records depuis le début de l’année, soit pratiquement un toutes les trois séances. Les résultats publiés dans les semaines qui viennent diront si cette fièvre est justifiée.

Cette première saison des résultats pour 2021 se tient dans un contexte particulier. D’une part, les marchés actions ont beaucoup anticipé une reprise économique marquée. Les niveaux de valorisation sont très élevés, avec un ratio cours/bénéfice (P/E) de l’ordre de 20 fois pour l’indice global des actions, le MSCI World, largement supérieur à la médiane des 15 dernières années (de l’ordre de 15 fois). Aux Etats-Unis, ce ratio atteint 22,4 pour le S&P500 à 12 mois, là encore un niveau bien supérieur aux moyennes des 5 et 10 dernières années (17,8 et 15,9 fois respectivement), selon une étude de Factset analysée par John Plassard, de Mirabaud, la semaine passée.

D’autre part, les taux d’intérêt à long terme ont commencé à augmenter, ce qui a tendance à pénaliser les actifs risqués comme les actions, observe Florian Marini, responsable des investissements de Bruellan à Genève: «Il faudra donc voir une reprise sensible des bénéfices pour ne pas avoir d’e􀆲et négatif.» Les prévisions des analystes sont à ce titre extrêmement élevées, après avoir été massivement relevées depuis début janvier, «ce qui est très encourageant».

La progression attendue pour les bénéfices pour 2021 au niveau mondial est ainsi passée de 18% en début d’année à 28,8% actuellement; de +18,6% à +25% pour le S&P500 (un niveau jamais atteint depuis 2018); de +32% à +43% pour le Stoxx600 européen et de 21 à 25% en Asie.

Mais tout ne sera pas si simple pour relancer la machine économique mondiale. Il serait risqué de considérer le vaccin comme un acquis et de penser que le virus sera oublié à l’été prochain. En 2021 et peut-être en 2022, des zones économiques vont encore jouer au yoyo, entre phases de reprise et périodes de ralentissement, notamment lorsque de nouvelles mesures de confinement seront prises.

Et ensuite? La possibilité d’une «japonisation» des économies développées est bien réelle, avec une croissance molle sur le long terme. A moins que les réformes appelées de longue date ne se concrétisent et ne permettent à la technologie et à la recherche d’un monde plus durable de donner une nouvelle impulsion à l’économie mondiale. 

Excès d’optimisme?

Ces dernières semaines, des entreprises ont également revu à la hausse leurs prévisions pour 2021, comme ABB jeudi passé, ou des acteurs de l’énergie et des matériaux de base. Les secteurs cycliques s’attendent également à de très bons chiffres: industrie, consommation discrétionnaire – l’automobile en particulier, à l’inverse de la consommation courante ou de la santé.

” Les bénéfices ne dépasseront pas leurs niveaux d’avant le covid en Europe, mais ce devrait être le cas aux Etats-Unis “

– Florian Marini – responsable des investissements de Bruellan

Faut-il y voir un excès d’optimisme? «Des croissances des bénéfices de ce niveau ont été atteintes après l’explosion de la bulle internet du début des années 2000 et après la crise financière de 2008. Après avoir été éteinte, l’économie repart toujours fort, analyse Florian Marini. En outre, les crises de 2000 et de 2008 avaient été des crises de la demande alors que celle provoquée par la pandémie a été une crise de l’offre, très courte et qui n’a pas pénalisé le consommateur.» Car ce dernier a reçu des aides, parfois directes comme aux Etats-Unis, l’immobilier n’a pas baissé et a même plutôt progressé et les portefeuilles actions des individus ont gagné en valeur. Résultat, «la fortune nette du consommateur américain a progressé de 11%, alors qu’elle avait chuté de 15% après la crise financière», résume l’investisseur genevois.

Etats-Unis à plein régime 

L’optimisme des analystes a été soutenu par la publication de données macroéconomiques solides, voire exceptionnelles la semaine passée concernant les Etats-Unis, où près d’un quart de la population est désormais vaccinée. Début avril, les inscriptions au chômage ont été à leur plus bas niveau depuis le début de la crise, même si elles restent deux fois plus élevées qu’avant l’épidémie. Les ventes au détail ont décollé de 9,8% en mars, alors que les économistes s’attendaient à 5,8%, relève Jean-Frédéric Nussbaumer, de la banque Gonet. Dans sa newsletter, il énumère les autres bonnes nouvelles: l’indice de la Fed de Philadelphie repasse au-dessus de 50 (qui correspond à une prévision d’expansion) alors qu’il était attendu à 41,5; dans le secteur secondaire, l’indice de la région de New York a bondi de 9 points par rapport à mars, à 26,3, dépassant là encore les attentes. «Bref, il semble que l’économie américaine soit repartie à plein régime», conclut l’observateur des marchés.

L’ambiance est tout autre côté européen. L’Allemagne a nettement abaissé ses prévisions de croissance pour 2021, à 3,7% contre 4,7% précédemment, sur fond de reconfinement et de retard dans la livraison des vaccins, observe également John Plassard, de Mirabaud. Même évolution au Portugal (4% de croissance prévue contre 5,4% précédemment) et en Italie, où la croissance a été revue à 4,5% au lieu des 6% attendus précédemment, tandis que le déficit budgétaire va prendre l’ascenseur.

Retour aux niveaux pré-covid?

La Chine, en revanche, a vu son PIB bondir de 18,3% au premier trimestre par rapport à la même période de 2020, lorsque le coronavirus avait mis l’économie à l’arrêt. De manière générale, les résultats du premier trimestre 2021 bénéficieront d’une comparaison favorable avec la même période de 2020, marquée par un recul des bénéfices de 13% aux Etats-Unis et de 40% en Europe. Mais cet effet de base ne fait pas tout, décrypte Florian Marini, de Bruellan: «Une société comme Bossard, spécialisée dans les éléments de fixation pour l’automobile ou le médical, a réalisé le meilleur trimestre de son histoire entre janvier et mars, mais ce sera probablement une exception. En Europe, on ne s’attend pas à ce que les bénéfices dépassent leurs niveaux d’avant le covid, mais ce devrait être le cas aux Etats-Unis.»

 

 

Source: Le Temps