La BNS joue un rôle de pionnier vers une politique monétaire moins restrictive et garde un maximum de flexibilité face à un environnement qui comprend encore trop d’incertitudes.
Une inflation maîtrisée depuis de nombreux mois, une croissance en-dessous de son potentiel, une activité industrielle qui semble avoir passé le creux, un marché du travail qui montre des premiers signes de faiblesse: tel est l’environnement contrasté auquel est aujourd’hui confrontée la Suisse. On peut ajouter à ce tableau une devise qui, après avoir atteint des sommets en 2023, a lâché un peu de lest permettant aux exportateurs de mieux respirer. C’est dans ce contexte en demi-teinte que la BNS a décidé, contre toute attente et avant l’ensemble des grandes banques centrales, de commencer à baisser ses taux, ouvrant ainsi la voie à une politique monétaire moins restrictive.
LE CREUX CONJONCTUREL SEMBLE DERRIÈRE MAIS L’EMPLOI VACILLE
L’indice suisse des directeurs d’achats (PMI) vient de passer 14 mois en territoire de contraction. Si le dernier chiffre est très clairement toujours en-dessous du seuil de 50, on constate néanmoins quelques signes d’amélioration avec 4 mois consécutifs de hausse, laissant penser que le creux conjoncturel pourrait bien être derrière nous dans le secteur manufacturier. Les entrées de commande semblent mieux orientées et la composante production est, elle aussi, en nette hausse. L’amélioration de la situation sur le plan des stocks nous est d’ailleurs confirmée par les entreprises que nous rencontrons et qui estiment que les inventaires devraient être définitivement nettoyés dès la fin du premier semestre 2024.
Parmi les plus petites entreprises, le constat est même légèrement plus optimiste puisque la composante commandes a déjà dépassé le seuil de croissance. Ce qui est nouveau en revanche, c’est la récente faiblesse de la composante emploi. Alors que son niveau était resté élevé durant les deux dernières années, sur fond de pénurie de main d’œuvre, une lente normalisation s’observe désormais du fait de la baisse de la demande, et les entreprises sont aujourd’hui plus prudentes en ce qui concerne le marché du travail. Le fait que 17% des sociétés industrielles aient mis leurs effectifs en chômage partiel s’inscrit dans cette logique. Un chômage qui repart à la hausse pourrait bien avoir raison du moral des consommateurs et peser sur la consommation, pilier jusqu’ici de l’économie. Pour l’heure, le PMI des services demeure en territoire expansionniste, mais c’est évidemment une donnée à surveiller de très près.
QUAND L’ALLEMAGNE ÉTERNUE LA SUISSE NE S’ENRHUME PLUS
Les destins de la Suisse et de l’Allemagne ont longtemps été indissociables, l’économie suisse suivant et subissant les soubresauts de son grand voisin rhénan et premier partenaire commercial de très longue date. Il semble cependant que leurs chemins se soient, depuis la pandémie, légèrement distancés et pas uniquement parce que les Etats-Unis constituent aujourd’hui le premier importateur des biens et services suisses. Ainsi depuis 2020, le PIB helvétique a bien mieux résisté que celui de l’Allemagne grâce, d’une part, à la force de ses exportations pharmaceutiques et, d’autre part, au formidable soutien de la consommation privée. Le consommateur allemand, étranglé par une inflation trois fois supérieure, n’a pour sa part pas pu jouer le rôle d’amortisseur face à une activité industrielle en plein marasme. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a d’ailleurs très justement souligné l’écart de valeur ajoutée dans l’industrie entre les deux pays depuis 2014. Si on constate une évolution en tout point similaire jusqu’en 2018, l’écart s’est ensuite dramatiquement creusé. Tandis que la Suisse a vu cette valeur ajoutée pratiquement doubler en dix ans, la hausse n’est que de 10% pour l’Allemagne sur la même période.
En effet, les deux pays ont conduit des politiques industrielles extrêmement divergentes au cours de la dernière décennie. Si l’Allemagne a profité d’une monnaie faible et d’un coût énergétique très bas qui ne l’ont pas incitée à faire les restructurations nécessaires, le franc suisse s’est lui apprécié de 25% face à l’euro, obligeant ainsi les entreprises helvétiques à investir massivement dans l’innovation et à se restructurer en permanence pour rester agiles et flexibles. Mais quand bien même cette dichotomie est réelle, elle ne doit pas non plus être surinterprétée, et une Allemagne en meilleure santé serait non seulement une bonne nouvelle pour la Suisse mais aussi pour l’Union européenne dans son ensemble. Si le niveau des directeurs d’achat allemands reste largement déprimé, bien qu’en légère progression, les premiers signes positifs semblent venir eux de l’indice ZEW qui retrace le sentiment des investisseurs sur les perspectives économiques du pays. Il montre que les attentes conjoncturelles ont non seulement connu leur huitième mois consécutif de hausse, mais que l’Allemagne pourrait ainsi avoir passé le creux de la vague, ce qui reste toujours de bon augure pour l’économie suisse.
LA BNS FAIT LE PREMIER PAS
S’il y a bien un fait sur lequel les différents économistes s’accordaient juste avant la réunion de la Banque nationale suisse (BNS) en mars, c’est que cette dernière ne toucherait pas à ses taux avant le mois de juin. A la surprise générale, elle en a décidé autrement, agissant ainsi en pionnière par rapport aux autres grandes banques centrales, lesquelles craignent encore quelques sursauts du niveau de leur inflation. La BNS attendait, elle aussi, de effets de second tour en début d’année, qui auraient pu mettre un frein provisoire à la décélération des prix entamée il y a un an, mais ceux-ci se sont avérés plus modestes que redoutés. Tout au plus a-t-on pu constater une très légère augmentation des loyers induite par les deux hausses du taux de référence hypothécaire pour les contrats de bail en 2023, mais cet effet a été plus que compensé par d’autres facteurs.
Ce qui a également poussé la BNS à agir plus vite, c’est l’appréciation du franc suisse en termes réels en fin d’année dernière, qui a exercé une pression insupportable sur les exportateurs. Bien que ces derniers soient habitués à ce phénomène, c’est la rapidité de l’appréciation et la réduction du différentiel d’inflation avec les principaux partenaires commerciaux de la Suisse qui ont exigé un changement de politique monétaire rapide de la part de la BNS. Enfin, face à un taux de croissance du PIB qui demeure en-dessous de son potentiel de long terme et à un marché de l’emploi qui commence à montrer des premiers signes d’essoufflement, l’institution monétaire a voulu apporter un clair signe de soutien envers l’activité économique. Si l’on s’en tient aux attentes du marché, la BNS pourrait encore procéder à deux baisses de taux d’ici la fin de l’année et semble considérer le niveau de 1% comme synonyme de neutralité. Elle n’a en outre pas renoncé, comme certains l’imaginaient, au franc comme instrument de politique monétaire. Elle se dit prête à être active sur le marché des changes si le contexte l’exige, et garde ainsi un maximum de flexibilité face à un environnement qui comprend encore beaucoup trop d’incertitudes.
UNE BOUFFÉE D’AIR FRAIS POUR LES EXPORTATRICES ET POUR LES PETITES ET MOYENNES CAPITALISATIONS
En 2023 la force du franc suisse a eu un impact important sur les résultats des entreprises, une partie des bénéfices ayant été engloutis par des coûts en franc disproportionnés par rapport aux revenus réalisés localement. La faiblesse de la monnaie depuis le début de cette année apporte un peu de réconfort aux industries exportatrices et plus particulièrement aux plus petites entreprises qui ne peuvent pas toujours compenser par une production délocalisée. Ce coup de pouce bienvenu ne devrait pas être visible en première partie d’année, car les niveaux du dollar et de l’euro contre franc étaient plus élevés jusqu’en juillet 2023 qu’il ne le sont aujourd’hui, mais si la tendance persiste, alors l’impact sur les bénéfices des sociétés pourrait être important au deuxième semestre.
La monnaie helvétique n’ayant pas été étrangère à la performance en demi-teinte des actions suisses l’an dernier, cette bouffée d’air frais pourrait bien agir comme un accélérateur, surtout du côté des petites et moyennes capitalisations. D’autant plus que depuis 2018, à l’exception de l’année 2021, ces dernières ont accumulé un important retard par rapport au SMI. En effet, depuis juin 2018, le différentiel de performance du SPI Extra vis-à-vis du SMI dépasse 40%, une situation quasi inédite et qui renforce notre préférence pour cette classe d’actifs.
Source : Allnews.